Intervention de Patrice REMEUR – Expert transformation digitale à la soirée de l’immobilier à LA POSTE BANQUE POSTALE maison de l’Habitat à Nantes
- Parlez-nous des évolutions dans l’écosystème bancaire aujourd’hui ?
C’est l’un des secteurs qui évolue très rapidement.
Les offres de la banque en ligne, l’automatisation des agences, de nouvelles applications qui vont au-delà la banque, le trading automatisé ou encore les prêts instantanés ou les visites virtuelles de biens immobiliers…
Il n’y a pas un jour sans nouvelles innovations.
La mutation en profondeur et l’accélération de la digitalisation sont irréversibles.
Alors pourquoi ?
On peut identifier 3 facteurs de mutations simultanés qui ont un impact économique, technologique et sociétale.
Premièrement : l’inflation des réglementations poussent à l’innovation et à la digitalisation. A titre d’illustration. Les grandes banques mondialisées comme BNP Paribas ou Société générale sont soumises à plus de 200 nouveaux textes par jour !
Quelle banque pourrait répondre à ces impératifs réglementaires sans avoir recours aux logiciels, IA ou fintechs ?
Ensuite, les textes tels que la DSP 2, RGPD, et bien d’autres constituent des leviers d’innovation. De quelle manière ?
Ils interviennent à trois niveaux :
Ces textes obligent les banques à intégrer par exemple l’ouverture des données bancaires à d’autres acteurs, d’assurer la restitution et la transparence des données personnelles ou encore la sécurité.
Les banques doivent ainsi trouver des solutions innovantes pour être en conformité. Ces contraintes les poussent à créer de nouveaux systèmes, des produits performants et à se lier à des partenaires pour imaginer des solutions.
D’ailleurs, les établissements profitent de cette contrainte pour la transformer en opportunité. Les banques financent les technologies et les acteurs pour constituer le nouveau marché innovant des REGTECHS !
Deuxième facteur : la multiplication et la diffusion des technologies est exponentielle. Ce qui entraîne une diminution des prix des technologies et les rends accessibles au plus grand nombre de personnes.
La numérisation est alors insufflée dans la société toute entière. Elle est aujourd’hui dans nos vies y compris dans nos brosses à dents connectées ! Mais aussi dans notre quotidien financier avec les paiements mobiles ou instantanés, les agrégateurs d’informations des comptes, les conseils des robo advisor, les scoring clients prédictifs…
Mais l’un des changements majeurs est que depuis 2008 date d’ouverture des services de paiement, l’innovation n’est plus nécessairement faite par les acteurs traditionnels mais par les acteurs du numérique : les GAFAM, les BATX…
Mais aussi une nuée de fintechs, d’opérateurs de télécommunication, d’éditeurs de logiciel ou d’acteurs innovants qui dominent les technologies et/ou disposent d’une surface de contacts importante.
lIs viennent remettre en cause les acteurs traditionnels et les modèles économiques de la fourniture des services.
Ces évolutions enclenchent des comportements totalement contre nature de la part des banques !
Par exemple, les établissements jusqu’alors concurrentes passent à la coopétition. Société Générale, BNP Paribas, Arkéa, La Banque Postale et Crédit Agricole se sont regroupés pour développer la solution de paiement Paylib. Plusieurs banques travaillent à la plateforme blockchain R3.
C’est une stratégie inédite. Elle permet de contrer les nouveaux acteurs pour conserver les marchés. Mais aussi de réaliser des économies d’échelle, de bénéficier d’une surface et de compétences technologiques et commerciales importantes.
Les postures d’autrefois doivent être oubliées : les concurrents sont désormais partenaires. Ces alliances contre nature visent à limiter les risques et à lancer des solutions innovantes rapidement pour soutenir et maîtriser l’écosystème.
Autre exemple, Axa ou BNP se sont auto disruptées avec Hello Bank par exemple pour ne pas se faire damer le pion et accélérer leur transformation digitale.
Ces nouvelles situations imposent des structures et des schémas mentaux nouveaux pour appréhender ces collaborations jusqu’alors perçues comme contradictoires.
Troisième élément : « Les consommateurs et jeunes demandent des produits et services parfaitement adaptés à leurs besoins.
Les banques doivent être centrées sur le client et fournir des accès immédiats à une pléthore de services, où qu’il soit et à faible coût. Et les banques innovent sur ces sujets.
En complément des outils numériques, elles ont mis en place des démarches d’open innovation et de coconstruction des produits financiers pour répondre aux attentes spécifiques.
Cette stratégie permet d’accélérer la mise sur le marché et de diminuer les risques d’échecs puisque le consommateur est à l’origine du projet et exprime ses besoins et sa propension à payer.
Par exemple, les plateformes de crowdfunding permettent aux établissements de coconstruire des offres pour les entrepreneurs jusqu’alors pas viables et de soutenir les meilleurs projets qui ont le plus de votes ou de financements.
Les entreprises inscrites à la plateforme peuvent lancer une demande de financement depuis une simple appli vers une base de futurs utilisateurs pour coconstruire l’offre ou le produit puis le vendre aux participants.
Ce mécanisme à permet ainsi de démarrer rapidement l’activité et d’éviter les échecs.
Autre exemple, la Société Générale a mise en place une démarche mondiale d’open innovation.
L’enseigne envisage de devenir une plateforme de services ou chacun pourra apporter sa brique de service pour compléter les offres bancaires.
Enfin, la valeur se déplace vers l’usage et non plus dans la possession des biens.
Oui. Cette mutation va entraîner un changement des modèles économiques telles que l’introduit Airbnb dans l’hôtellerie. Dans un autre secteur, les constructeurs automobiles qui ne vendent plus des véhicules mais des services et des données pour répondre aux attentes. C’est également Michelin qui ne vend plus uniquement des pneus mais des économies de carburant et des services.
- En quoi les nouveaux usages et la consommation des produits bancaires impactent-ils le réseau physique des banques ?
Ces mutations imposent une réinvention des parcours clients, des canaux et une accélération des savoir-faire sur certaines activités historiques de la banque.
Les nouveaux usages et produits poussent à la question : quelle est la raison d’être des points physiques ?
L’ensemble des enseignes a choisi de reconfigurer leurs réseaux d’agences pour répondre à ces évolutions.
Les banques suivent leurs clients. Elles vont là où ils sont. Des kiosques s’ouvrent dans les grandes surfaces, BNP avec le compte Nickel se trouve désormais chez les buralistes, des agences entreprises ou en gestion de patrimoine s’implantent dans les zones d’activités, les banques populaires proposent une e-agence avec un conseiller dédié pour les étudiants partis à hors du territoire …
Les établissements bancaires restent proches de leurs clients. Ils alignent les services là où les clients sont.
Ils regroupent les compétences pour répondre mieux aux attentes des clients et les servir davantage. Ils veulent enlever la distance.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Si le client peut gérer, payer, emprunter de manière immédiate, où qu’il soit, quand il le veut et ainsi s’affranchir de l’espace et du temps avec le numérique, il est néanmoins ancré dans la tradition.
En effet, le client a besoin de conseils et de traiter de ses projets de vie significatifs avec un interlocuteur de confiance. C’est indéniable. Et ce ne sont pas les IA qui peuvent et pourront le faire.
L’agence reste la pierre angulaire de la relation bancaire.
On constate trois éléments constants :
– Les banques sont attachées à leur image et au poids d’influence lié à l’implantation de leurs agences.
– La demande bancaire ne baisse pas. Les clients ont de nouvelles exigences mais ils ont toujours besoin de leur banque et de services. Ils restent également fidèles à leur banque malgré les possibilités de changement.
– Les clients sont en outre attachés aux relations humaines. Quel que soit le canal et l’âge : la dimension humaine et de conseils est importante.
Le savez-vous ? 70 % sollicitent un contact humain pour renégocier un prêt, 69 % pour réaliser une demande et résoudre des problèmes, 67 % souhaitent un échange physique pour bénéficier de conseils ou encore réaliser un prêt… selon une étude IPSOS pour Société Générale.
Ces chiffres montrent que la banque reste une activité dont la valeur ajoutée repose sur ses conseillers et leur capacité à offrir contact humain et expertise.
Fournir le bon conseil et le bon service, au bon moment, quel que soit le canal c’est ce que demande le consommateur et donc ce que propose la banque.
Par ailleurs, il y a les temps longs. Ce sont les projets relatifs à la vie privée ou à l’entreprise par exemple. Ces projets de vie imposent une relation personnalisée dans la durée que les banques préservent avec des agences pour ne pas rompre ce lien.
Les exemples de reconfiguration d’agences fleurissent. Le Crédit Mutuel du Sud-Ouest est intéressant à cet égard. La banque a installé des agences dans les maisons témoins du constructeur IGC !
En Espagne, les agences bancaires sont itinérantes depuis 2008.
Les conseillers du Crédit Agricole sont également dans des camions pour servir les populations rurales tout en abaissant les coûts.
Les conseillers de Société Générale en Afrique partent sillonner les routes en vélo moteur pour toucher des publics jusqu’alors inéligibles au crédit. La baisse des coûts de distribution permet d’acquérir de nouveaux clients.
Contrairement aux apparences, on le voit les banques réinventent constamment la banque de proximité avec d’autres formats.
La force des banques traditionnelles réside dans la capacité à être proches des attentes, proche géographiquement, proche socialement, proche numériquement…
Et cela peut vous paraître paradoxal mais cela passe par l’agence physique qui se numérise et par SON conseiller bancaire.
Par téléphone, email ou rendez-vous physique, selon les urgences et les impacts des projets : le conseiller est joignable.
Les clients bénéficient de conseils plus avisés, plus pertinents, plus appropriés notamment avec des spécialistes immobiliers, en gestion de patrimoine, en secteur viticole… Les experts sont en agences spécialisées ou joignables en visioconférences. Les banques segmentent les agences par type de clientèle pour mieux répondre.
Ce qui fait la différence avec des produits financiers normalisés et des consommateurs surinformés, c’est donc la relation humaine.
Les agences et les conseillers cristallisent le meilleur du numérique et du physique. Ils croisent les nouveaux outils visio, Internet, tablette, smartphone, DAB, IA… avec les compétences humaines pour apporter la meilleure prestation du numérique et du physique. C’est au final une sorte de banque augmentée.
La concentration des ressources et la valeur ajoutée du capital humain est le facteur de différenciation de la banque.
Le couplage avec l’analyse fine des data permet au conseiller de répondre aux nouvelles attentes de leurs clients, de les anticiper ou encore de développer avec eux des solutions parfaitement adaptées et pertinentes à leur projet de vie.
Ce qui permet de nourrir la confiance et de recueillir des informations pour financer de nouveaux projets tout en abaissant les risques pour la banque.
La meilleure répartition des services et expertises sur les territoires physique et numérique, ainsi que l’articulation entre ces deux domaines permettent de couvrir davantage et mieux les clients.
Les agences et les conseillers, comme leurs compétences, doivent être agiles. C’est-à-dire mobiles, réactifs et optimisés.
Une véritable réforme organisationnelle et des esprits est donc en marche. Y compris pour les acteurs du numérique. Google a ouvert en fin d’année une boutique à Rennes et Amazon ouvre des magasins physiques. Cette matérialisation traduit le chamboulement en marche.
- Quelques mots pour terminer sur la digitalisation de la banque ?
Alors pour conclure le numérique opportunité ou pas ?
Pour ma part, je pense que le numérique n’est pas une menace. Il va comme l’électricité apporter l’usage immédiatement et libérer de la valeur.
Je m’explique. Pour chauffer ou éclairer une pièce, il suffit d’appuyer sur un bouton. Nous n’avons pas besoin d’abattre les arbres, de les transporter, de les stocker, d’allumer le feu… l’électricité a permis d’apporter immédiatement l’énergie au moment et où on en a besoin y compris dans des interstices. On l’oubli. Pourtant cette évolution a fait peur aux acteurs en place y compris les fabricants de bougies !
Le numérique c’est la même chose. C’est la conjugaison de la puissance de de l’électricité, de l’information, de la communication, de la connaissance, du multimédia, de la non matière… et à la fois de l’empreinte ou de la trace. Il va falloir arrêter plusieurs activités et en inventer d’autres avec des partenaires ou des concurrents !
Les banques avec le numérique vont apporter l’argent comme l’électricité pour bénéficier d’un usage immédiatement.
Les structures vont tendre à s’effacer pour amener au consommateur ce qu’il veut. Je pense à l’industrie musicale. Le numérique répond au besoin instantané. Il est inutile d’acheter des CD pour écouter de la musique en hifi. Soit on écoute en ligne depuis un appareil connecté, soit on va au concert pour partager un Live. C’est un moment important et participatif pour écouter intensément l’artiste.
Pour les services financiers je pense que les consommateurs vont pouvoir disposer et faire circuler de l’argent aussi simplement que l’électricité aujourd’hui. Mais les hommes et les femmes seront indispensables pour partager des conseils, des analyses, des jugements ou fournir des moments relationnelles décisifs ou apporter des attentions.
Avec la propagation de l’IA, les banques vont pouvoir générer de nouvelles activités qu’on ne peut pas actuellement faire.
Tout est donc à créer. Il faut inventer une nouvelle finance et l’établissement de demain !
Par exemple, elle va aider à créer de nouveaux prêts bancaires ou des offres pour des profils totalement exclus aujourd’hui. Avec l’IA et le numérique nous pourront adresser de nouvelles niches de projets, des financements dédiés…
Il va y avoir donc des chamboulements. Il faut donc que les collaborateurs travaillent sur ces mutations.
Il va falloir travailler avec les parties prenantes en thinking project, design thinking, agilité… pour savoir ce qu’on est prêts à arrêter et que réinventer ?
Imaginer de nouvelles activités c’est aussi inventer les métiers et les compétences nouvelles.
Les personnes en contact avec le clients ou fournisseurs ou partenaires sont clés. Il va falloir travailler donc en mode collaboratif et penser perpétuellement les changements et les nouvelles activités, fonctions et métiers !
C’est un défi mais ce n’est pas en cherchant à améliorer la bougie qu’on a inventé l’électricité pour reprendre les propos de Niel Bohrs prix Nobel de physique. Il faut simplement changer notre point de vue.
Oui la digitalisation de banque va changer les structures actuelles. La banque sera invisible et incarnée l’Homme. Elle sera faite par vous et moi. Chacun pourra participer et apporter sa et ses valeurs. N’est-ce pas au final le but de la finance ?