Comment le marché des banques de détail s’adapte-t-il à la transformation digitale ?

Intervention de Patrice REMEUR devant une grande banque française (confidentiel).

  • Est-il possible de dresser le panorama de la transformation des banques de détail face au digital ?

La banque de détail, comme de nombreux autres secteurs, est confrontée à la digitalisation de la société toute entière.

Trois facteurs la transforment rapidement.

  • Le premier,  c’est l’utilisation intensive du smartphone et des technologies par les clients.

Résultat : le consommateur est aujourd’hui en attente d’une immédiateté et d’une permanence de services.

Il veut pouvoir gérer ses comptes en temps réel ou qu’on lui apporte une réponse sur un crédit immobilier immédiatement !

Cette immédiateté nourrit de manière continue une simplification des usages existants et accélère le développement de nouveaux services.

Tout cela impacte la banque de détail : ses réseaux, son organisation, les conseillers et les compétences.

  • Le deuxième facteur en découle : c’est que les consommateurs attendent, c’est-à-dire des produits et services financiers parfaitement adaptés à leurs besoins.

Il est fini le temps où les établissements étaient forces de propositions pour vendre des cartes bancaires. Aujourd’hui, il faut dé-packager.

Les banques doivent inventer des produits et des services sur mesure depuis les données et la connaissance de leur client.

Elles doivent anticiper et proposer un produit dédié, comme par exemple un crédit , car la banque doit détecter une prévision d’achat ou offrir des solutions de financements pour affronter des difficultés budgétaires passagères.

Les banques, avec la DSP2, doivent s’orienter dans une logique de plateforme ouverte et de place de marché pouvant offrir des produits concurrents aux clients, au risque sinon de le perdre !

  • Tous ces éléments conduisent les banques à reconfigurer leurs réseaux et c’est le troisième facteur. Alors que les canaux numériques répondent aux besoins quotidiens, contrairement aux idées reçues les jeunes et tous les clients ont besoin de contacts humains personnalisés pour bénéficier de conseils à valeur ajoutée et d’être accompagnés dans les décisions importantes.

La croissance des usages numériques ne conduit pas nécessairement à une baisse des interactions avec la clientèle. Elle conduit en revanche à démultiplier les interactions et enrichir la relation par le biais du mail, du téléphone, de la visio, du tchat…

Le numérique vient donc enrichir le physique et vice-versa.

  • Quels sont les impacts / les effets sur les banques de réseau ?

Tout cela change les agences et les parcours clients : les banques doivent suivre leurs clients. Et aller là où ils sont.

Des kiosques s’ouvrent dans les grandes surfaces, BNP -avec le compte Nickel- se trouve désormais chez les buralistes, des agences entreprises ou en gestion de patrimoine s’implantent dans les zones d’activités.

Les banques regroupent des experts dans des agences et utilisent par exemple la visio pour que le client échange avec un spécialiste sur une problématique particulière (fiscale…).

Les Banques Populaires proposent quant à elles une e-agence avec un conseiller dédié pour les étudiants partis à hors du territoire …

La relation avec le conseiller est donc possible physiquement ou à distance ou les deux !

Au client de choisir. La banque maintient en permanence le lien, socle de la confiance.

Les établissements bancaires restent proches de leurs clients. Ils veulent enlever la distance au profit d’une plus grande proximité.

Qu’est-ce que cela signifie ? 

Si le client peut gérer, payer, emprunter de manière immédiate, où qu’il soit, quand il le veut et ainsi s’affranchir de l’espace et du temps grâce au numérique, il est néanmoins ancré dans la tradition.

70 % des clients sollicitent un contact humain pour renégocier un prêt, 69 % pour réaliser une demande et résoudre des problèmes, 67 % pour bénéficier de conseils ou encore réaliser un prêt…, selon une étude IPSOS pour Société Générale.

En effet, le client  a besoin de conseils et de traiter de ses projets de vie significatifs avec un interlocuteur de confiance. C’est indéniable. Et ce ne sont pas les IA qui peuvent et pourront le faire.

D’ailleurs, les banques en ligne ne percent pas. Elles servent de banques complémentaires.

Les banques articulent les différents canaux pour offrir au client un meilleur service en lui offrant une palette de solutions.

Ainsi, de nombreuses banques mènent des travaux sur la dématérialisation pour faciliter les ouvertures de comptes à distance ou les démarches réglementaires telles que la fourniture de pièces justificatives, reposant sur la blockchain par exemple pour l’obtention de crédit.

Le client peut alors commencer ses démarches par un canal  (exemple : une application mobile ou internet) et rencontrer son conseiller à l’agence au moment où il ressent le besoin de conclure l’affaire.

Pour le conseiller, l’avantage est que le client est également autonome. Il peut, de sa propre initiative, engager des démarches de manière proactive. Et le conseiller peut davantage se consacrer à l’approche relationnelle et au conseil.

La prolifération de l’intelligence artificielle va accélérer l’automatisation de tâches rébarbatives pour tous !

Dans le domaine de stratégie patrimoniale, les robots advisors vont à la fois aider le conseiller à délivrer le bon conseil et le bon produit, et apporter au client  la liberté de choisir plus facilement.

Dans la gestion courante, l’IA va accompagner le conseiller pour répondre à la multitude de sollicitations issues de mail, chat ou SMS auxquelles il est confronté quotidiennement. Le Crédit Mutuel, qui a déployé Watson, en tire un réel bénéfice.

Tout cela transforme la manière de travailler et de vendre.

Ces outils simplifient la vie de tous. Ils facilitent également la vente.

Comment ? La réalisation d’une démarche en ligne permet aux clients de fournir des informations utiles pour analyser son dossier et faire remonter un besoin que la banque n’avait pas nécessairement identifié.

Le conseiller, avant de rencontrer son client, peut également recueillir d’autres informations et données utiles qui viendront compléter des analyses sur le profil de son client.

Ainsi, l’interprétation et l’analyse seront meilleures, et permettront de fournir un conseil et un produit ajustés, ce qui augmente la chance de conclure la vente et de satisfaire le client.

On le voit, les outils permettent un premier niveau d’analyse pour améliorer la promotion ou la vente de produit.

Ils permettent également au conseiller, par les données et informations laissées par les clients, d’anticiper les projets et d’adapter sa posture aux attentes.

Les agences et les conseillers cristallisent donc le meilleur du numérique et du physique. Ils croisent les nouveaux outils visio, Internet, tablette, smartphone, DAB, IA… avec les compétences humaines pour apporter la meilleure prestation possible. C’est au final une sorte de « banque augmentée ».

Une véritable réforme organisationnelle et des esprits est donc en marche. Y compris pour les acteurs du numérique. Google a ainsi ouvert en fin d’année une boutique à Rennes et Amazon ouvre des magasins physiques. Cette matérialisation traduit le chamboulement en marche.

  • Quelles stratégies les banques adoptent-elles pour répondre à ces nouveaux besoins ?

Les évolutions enclenchées par le numérique entraînent des comportements totalement contre nature de la part des banques !

Elles mènent des stratégies inédites.

Par exemple, les établissements jusqu’alors concurrentes passent à la « coopétition », c’est-à-dire à une logique de compétition contre les acteurs de l’internet et de coopérations entre acteurs bancaires.

Société Générale, BNP Paribas, Arkéa, La Banque Postale et Crédit Agricole se sont ainsi  regroupés pour développer la solution de paiement Paylib.

Plusieurs banques travaillent à la plateforme blockchain R3.

Pourquoi ? Pour contrer les nouveaux acteurs et conserver les marchés. Mais aussi réaliser des économies d’échelle, bénéficier d’une surface et de compétences technologiques et commerciales importantes.

Les postures d’autrefois doivent être oubliées : les concurrents doivent travailler ensemble. On le voit également dans les relations avec les Fintechs.

Ces alliances contre nature visent à limiter les risques et à lancer des solutions innovantes rapidement pour soutenir et de maîtriser l’écosystème.

L’écosystème est d’ailleurs une nécessité. Car la DSP2 impose l’ouverture de données bancaires à de nouveaux acteurs. On passe d’un écosystème fermé à un écosystème ouvert.

Règlementairement,  les banques sont tenues de devenir des plateformes ouvertes avec des produits proposés par des tiers et des partenaires. L’enjeu est de conserver la relation avec la clientèle pour ne pas être disruptée !

Par exemple, Axa ou BNP se sont auto disruptées avec Hello Bank pour ne pas se faire damer le pion et accélérer leur transformation digitale tout en testant ce nouveau modèle.

Ce qui est important, c’est que ces nouvelles situations imposent des structures et des schémas mentaux nouveaux pour appréhender ces collaborations jusqu’alors perçues comme contradictoires.

Pour conserver le lien avec les clients et ne pas se faire désintermédiées, les banques doivent être centrées sur le client et fournir des accès immédiats à une multitude de services, où qu’il soit  et à faible coût.

Et les banques innovent sur ces sujets.

En complément des outils numériques, elles mettent en place des démarches d’open innovation et de coconstruction des produits financiers pour répondre aux attentes spécifiques.

Cette stratégie permet d’accélérer la mise sur le marché et de diminuer les risques d’échecs, puisqu’il s’agit de mettre le consommateur ou l’utilisateur à l’origine du projet afin qu’il coconstruise le produit en exprimant à la fois ses besoins et sa propension à payer.

Par exemple, les plateformes de crowdfunding permettent aux établissements de coconstruire des offres pour les entrepreneurs jusqu’alors non viables et de soutenir les meilleurs projets qui reçoivent le plus de votes ou de financements.

Les entreprises inscrites à la plateforme peuvent lancer une demande de financement depuis une simple appli vers une base de futurs utilisateurs pour coconstruire l’offre ou le produit, puis le vendre aux participants.

Ce mécanisme permet ainsi de démarrer rapidement l’activité et d’éviter les échecs.

Autre exemple, la Société Générale a mis en place une démarche mondiale d’open innovation.

L’enseigne envisage de devenir une plateforme de services ou chacun pourra apporter sa brique de service pour compléter les offres bancaires.

Enfin,  la valeur se déplace vers l’usage et non plus dans la possession des biens. 

Tout cela va entraîner un changement des modèles économiques, telss que l’introduit Airbnb dans l’hôtellerie. Dans un autre secteur, les constructeurs automobiles ne vendent plus des véhicules mais des services et des données pour répondre aux attentes. C’est également Michelin qui ne vend plus uniquement des pneus mais des économies de carburant et des services. Et la voiture autonome devrait encore bouleverser la donne en étant au centre de la mobilité et des données des environnements.

  • Quels atouts les banques de demain devront développer pour faire la différence sur le marché ?

Les banques actuellement disposent de nombreux atouts.

Le premier est qu’elle bénéficie de la confiance de leur client.

Elles bénéficient d’une surface de contacts importante puisque la quasi-totalité de la population est bancarisée.

Elles tiennent également les cordons de la bourse et disposent de la capacité à financer ou pas un secteur ou des acteurs. Ce qui est évidement  une arme redoutable par rapport à de nouveaux entrants, aussi puissants soient-ils.

Elles disposent d’infrastructures solides et d’une culture de la sécurité et de l’innovation.

Elles maîtrisent également les aspects réglementaires et jouissent d’une diversité des revenus.

Elles bénéficient d’une forte proximité avec les populations et financent, et animent la vie locale.

Néanmoins, bien que le risque de désintermédiation de la totalité des banques soit peu probable, elles se trouvent confrontées à plusieurs éléments.

Le contexte et les évolutions réglementaires tendent en effet à briser les monopoles des banques. Elles sont soumises à une concurrence nouvelle.

De nouveaux acteurs, notamment les plateformes d’intermédiation, constituent une menace dans le domaine BtoC ou de collecte de fonds.

Certains agrégateurs de fonds disposent déjà de 2.5 millions d’utilisateurs en France et captent la surface et la relation avec la clientèle.

Quant aux acteurs de l’internet ou des télécommunications qui sont en contact dans notre quotidien, ils ont évidemment une capacité d’enrôlement rapide et donc la possibilité de transformer rapidement les utilisateurs en clients ou acteurs financiers.

Je m’explique. Les Gafam ou les Batx peuvent à la fois offrir des services bancaires aisément mais aussi permettre à chacun de devenir soit prêteur, soit emprunteur avec des solutions P2P ou encore échanger des monnaies virtuelles.

Ils disposent déjà d’une présence significative dans les services financiers :

  • Amazon Pay est présente dans 10 pays,
  • Google Pay dans 22 pays,
  • et Apple Pay dans 25 pays.

Facebook Messenger intègre les paiements entre pairs dans trois pays et un portefeuille électronique et monnaie virtuelle serait déjà en préparation.

Ils disposent d’avantages compétitifs pour étendre leurs activités en quelques clics dans les services financiers. Ils ont des ressources financières massives, une forte image de marque, une clientèle constituée à l’échelle mondiale et un accès privilégié aux technologies de pointe.

L’enjeu pour les banques consiste donc à préserver le lien quotidien avec leurs clients, avec les services de paiement, et proposer une banque facile au quotidien.

Elles disposent également de données et d’informations majeures sur les clients, entreprises, associations et collectivités.

Avec une extraction appropriée, les banques peuvent pousser des recommandations personnalisées en lien avec les fintechs pour faciliter l’épargne, l’acquisition d’un crédit, des informations comparatives sur des achats…

Elles peuvent également vendre à des partenaires les  données de manière anonymisées ou avec le consentement des clients.

L’analyse des données personnelles permet de designer un produit sur mesure tout en limitant les risques.

Avec l’ouverture de leurs API, elles peuvent soit se connecter à des services, soit permettre à des acteurs de se connecter pour livrer au client le service dont il a besoin.

C’est une opportunité d’innovations et également une source de revenus puisque la banque devient un centre commercial.

Mais je crois que l’atout majeur réside dans les hommes et les femmes qui font la banque au quotidien.

Le personnel est plus qualifié que la moyenne. Il a donc une facilité à s’approprier les nouvelles technologies pour améliorer ses performances pour aller au-delà de la banque d’aujourd’hui.

Je pense à un film que j’ai vu récemment qui s’appelle « Les figures de l’ombre ». La Nasa n’arrive pas à faire décoller sa première fusée car le premier ordinateur IBM ne fonctionne pas. C’est une femme chargée des calculs qui va réussir à le faire fonctionner et non pas les ingénieurs IBM. A ce même moment, elle perd donc son emploi de calculatrice. Mais elle choisit de se former et de  former ses collègues pour utiliser la machine pour aller au-delà de la simple réalisation de calculs. Résultats : grâce à l’ordinateur et l’intelligence humaine, la fusée décolle. Les US partent ainsi dans la conquête de la lune.

Je crois que la formation est donc majeure pour utiliser avec pertinence les outils. Car le développement dans la banque peut être freiné par des difficultés de digestion des nouvelles technologies comme le montrait récemment une étude.

Pourtant, le risque est que ces outils numériques puissants, qui sont bien connus des nouveaux entrants, se propagent sur le marché et creusent un retard des établissements traditionnels.

La numérisation du secteur bancaire entraine une mutation profonde des métiers, ce qui exige une approche combinée de l’humain et du digital.

  • Comment embarquer les collaborateurs dans cette transition ?

Vous avez raison. Il s’agit d’emporter les collaborateurs dans ces évolutions.

Alors comment ?

Avec la propagation de l’IA, les banques vont pouvoir générer de nouvelles activités qu’on ne peut pas actuellement réaliser.

Tout est donc à créer. Il faut inventer une nouvelle finance et l’établissement de demain !

Il va falloir peut-être suivre des sessions de formations et d’informations sur l’IA.

Mettre en place des ateliers de travail.

Prévoir des formations pour travailler et contrôler les IA.

Connaître les commandes pour maîtriser l’IA et les cas d’usages par exemple.

Ensuite, il va falloir des exercices pratiques et regarder les meilleures pratiques, les faire connaître pour démythifier. Il y a beaucoup d’exagération dans les médias.

Je pense qu’il est donc intéressant de travailler concrètement avec l’ensemble des collaborateurs pour voir comment l’IA va aider à créer de nouveaux prêts bancaires ou des offres pour des profils totalement exclus aujourd’hui.

Avec l’IA et le numérique, nous pourront adresser de nouvelles niches de projets, des financements dédiés…

Il va y avoir donc des chamboulements. Il faut donc que les collaborateurs travaillent sur ces mutations pour les intégrer dans leur fonction.

Il va falloir travailler avec les parties prenantes en thinking project, design thinking, agilité… pour savoir ce que l’on est prêts à « lâcher » et quoi réinventer ? Doit-on développer l’iA en interne ou acquérir les technologies sur étagères ?

Imaginer de nouvelles activités, c’est aussi inventer les métiers et les compétences nouvelles.

Les personnes en contact avec le client, les fournisseurs ou les partenaires sont clés. Il va falloir donc travailler en mode collaboratif et penser perpétuellement les changements et les nouvelles activités, fonctions et métiers !

Il va aussi falloir que les collaborateurs construisent du sens, car c’est à eux de diriger la machine pour qu’elle apporte le progrès économique, social ou environnemental.

Leur choix est entre leurs mains.

C’est un défi mais ce n’est pas en cherchant à améliorer la bougie qu’on a inventé l’électricité, pour reprendre les propos de Niel Bohrs prix Nobel de physique. Il faut simplement changer notre point de vue et réussir à passer au-delà des changements que nous connaissons pour penser la prochaine étape.

Oui, la digitalisation de banque va changer les organisations actuelles. La structure de la banque va peu à peu s’effacer, au profit de l’Homme. Elle sera faite par vous et moi. Chacun pourra participer et apporter sa et ses valeurs. N’est-ce pas au final le but de la banque ?